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Mémorandum – Analyse de la loi nº12-06 du 12 janvier 2012 relative aux lois sur les associations

Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) et ses organisations membres en Algérie, le Collectif des Familles de Disparus en Algérie (CFDA) et la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) considèrent que la nouvelle loi sur les associations ne garantit pas les droits des associations algériennes tels que prescrits dans les Conventions internationales ratifiées par l’Algérie, lesquelles ont, selon la Constitution algérienne elle-même, valeur supérieure aux lois nationales. Nos préoccupations, détaillées dans le Mémorandum ci-dessous, se situent principalement à 5 niveaux : 1) la procédure de création des associations soumise à autorisation préalable ; 2) le mode de financement des associations ; 3) les limitations à la coopération avec des organisations étrangères ; 4) le régime auquel sont soumises les associations étrangères et 5) les conditions particulièrement larges dans lesquelles les associations peuvent être suspendues ou dissoutes.

1)  Selon la nouvelle loi, la simple déclaration n’est désormais plus suffisante pour créer une association. La formation d’association  n’est donc pas soumise au régime déclaratif dit de simple notification mais elle est conditionnée par l’accord préalable des autorités qui sont tenues à « délivrer à l’association un récépissé d’enregistrement ayant valeur d’agrément » ou «  à prendre une décision de refus » (art. 8). Si cette nouvelle législation codifie une pratique déjà largement mise en œuvre par les autorités administratives, elle vient renforcer le pouvoir de ces dernières et ne permet pas de garantir une réglementation indépendante et impartiale des associations.

Selon  la loi nº12-06, les autorités  peuvent refuser l’enregistrement des associations dont elles considèrent l’objet ou les buts « contraires aux constantes et aux valeurs nationales ainsi qu’à l’ordre public, aux bonnes mœurs et aux dispositions des lois et règlements en vigueur » (art.39). En pratique, il est à craindre que ces critères extrêmement vagues et imprécis permettent aux autorités administratives d’empêcher la constitution de nombreuses associations de défense des droits de l’Homme, ou d’associations des droits des femmes qui demandent l’abrogation du Code de la famille ou d’associations de familles de victimes du conflit des années ‘90 telle par exemple SOS-Disparus qui milite pour la vérité et la justice au-delà des disposions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale[1].

En cas de silence de l’administration, l’association  est considérée constituée de plein droit, même si elle doit encore attendre d’obtenir un récépissé d’enregistrement pour pouvoir fonctionner légalement (art.11). Cependant, lorsque, après un refus, l’association obtient gain de cause devant les tribunaux, le texte précise que « l’administration dispose d’un délai de trois mois aux fins d’annulation de la constitution de l’association » (art.10). Cette prérogative octroyée à l’administration non seulement alourdit la procédure, mais donne également à celle-ci les moyens de contrôler a posteriori tout le champ associatif.

En outre, le très controversé article 45 de la loi 90-31 qui prévoyait des peines d’emprisonnement pour « quiconque administrait une association non agrée » et qui agissait comme épée de Damoclès au-dessus des militants associatifs actifs au sein d’associations qui n’avaient pu obtenir des autorités le récépissé légal, a été conservé. De plus dans l’article 46 de la nouvelle loi, les peines ne s’appliquent pas uniquement aux représentants des associations « non agrées » mais aussi aux associations « non encore enregistrées, suspendues ou dissoutes ». Par ailleurs, si ce même article réduit la durée de la peine d’emprisonnement mais augmente considérablement le montant de l’amende, il est regrettable que les dispositions de la loi 90-31 qui donnait la possibilité au juge de choisir entre l’une des deux peines, ait été supprimé.

Enfin, alors que la loi 90-31 prévoyait 15 membres fondateurs pour la création d’une association, ce qui déjà alourdissait la procédure, et que les associations avaient dénoncé lors des états généraux[2], la présente loi, quant à elle, prévoit un nombre encore plus élevé de personnes pour former une association. Ainsi, selon l’article 6, il faut réunir 10 membres fondateurs pour une association communale, 15 membres pour les associations de wilaya (issus de 3 communes au moins), 21 membres pour une association inter-wilaya (issus de 3 wilayas au moins) et pas moins de 25 membres pour une association nationale (issus de 12 wilayas), là où, généralement, seules 2 personnes sont nécessaires pour former une association.

2)  Le projet de loi précise que les ressources des associations sont notamment constituées par les subventions « consenties » de l’État, du département ou de la commune (art.29). Cette notion particulièrement floue laisse craindre une interprétation abusive des autorités compétentes qui pourraient contrôler a priori tout financement du secteur associatif.

A la différence de la loi antérieure qui prévoyait que les associations pouvaient recevoir, après autorisation préalable des pouvoirs publics, des dons et legs d’associations étrangères, la loi 12-06 indique qu’ « en dehors des relations de coopération dument établies », il est fait interdiction aux associations de recevoir des dons, des subventions ou tout autre contribution de toutes « légations ou organisations non gouvernementale étrangère », et que ces financements font l’objet de l’accord préalable de l’autorité compétente (art.30). Cette nouvelle législation  prive donc les associations de sources de financement vitales pour leur survie. En outre, en imposant le cadre des accords dits de « partenariats », les autorités s’octroient un moyen de contrôle supplémentaire sur les ressources des associations et par là-même sur leurs activités et leurs partenaires, leur permettant de s’ingérer dans leurs affaires intérieures et d’orienter leur travail.

Par ailleurs, si les dispositions de l’article 18 reprennent  les dispositions de la loi 90-31[3], les dispositions de l’article 19 obligent les associations à fournir aux autorités, à l’issue de chaque assemblée générale, les PV de réunion, rapports moraux et financiers, ce qui permet un contrôle accru des activités de l’association. De plus, les associations sont punies d’une amende dès lors qu’elles refusent de fournir ces renseignements (art.20).

3) Les dispositions de l’article 21 de la loi de 1990 qui précisaient que seules les associations à caractère national pouvaient adhérer à des associations internationales et que cette adhésion ne pouvait intervenir qu’après accord du Ministère de l’intérieur ont été modifiées. Ainsi dans la nouvelle loi, toutes les associations « agréées » peuvent adhérer à des associations étrangères. Cependant, il est aussi précisé que le Ministre de l’intérieur doit être préalablement informé de cette adhésion et qu’il requerra l’avis du Ministère des affaires étrangères. Il est aussi précisé que le Ministre de l’intérieur peut s’opposer au projet d’adhésion dans un délai de 60 jours. En outre, la loi 12-06 soumet aussi la coopération dans le cadre d’un partenariat avec des associations étrangères et des ONG internationales à un accord préalable des autorités compétentes (art.23), alors même que la loi 90-31 ne comportait aucune précision à ce sujet.

4) Autre motif de préoccupation : les associations étrangères – c’est-à-dire les associations qui « ont leur siège à l’étranger ou qui ayant leur siège sur le territoire national, sont partiellement ou totalement dirigées par des étrangers » (art. 59) –, sont sujettes à un régime différent des associations nationales beaucoup plus contraignant. Tout d’abord, les autorités disposent d’un délai de 90 jours pour accorder ou refuser l’agrément, là où un délai de 60 jours est nécessaire pour les demandes de formation d’associations nationales (art. 61).

De plus, l’article 63 du texte indique que « la demande d’agrément d’une association étrangère doit avoir pour objet la mise en œuvre de dispositions contenues dans un accord entre le Gouvernement et le Gouvernement du pays d’origine de l’association étrangère pour la promotion de la relation d’amitié et de fraternité entre le peuple algérien et le peuple de l’association étrangère », permettant à l’évidence aux autorités d’imposer purement et simplement le choix des activités des associations étrangères… Au cas où cela ne serait pas suffisamment clair, l’article 65 précise que l’agrément peut être suspendu ou retiré si l’association « se livre à une ingérence caractérisée dans les affaires du pays hôte ou que son activité est de nature à porter atteinte : à la souveraineté nationale, à l’ordre institutionnel établi, à l’unité nationale ou à l’intégrité du territoire national, à l’ordre public et aux bonnes mœurs ou encore aux valeurs civilisationnelles du peuple algérien ». Le caractère extrêmement vague de ces dispositions restreint encore davantage la liberté d’association, par le vœu énoncé de faire taire l’éventuelle critique des associations étrangères.

Les financements des associations étrangères sont également pris pour cible. La loi indique que le montant de leurs financements « peut faire l’objet d’un plafonnement défini par voie réglementaire » (art. 67).

5) S’agissant de la suspension et de la dissolution des associations, la nouvelle procédure vient sévèrement renforcer le contrôle du champ associatif : l’association peut faire l’objet d’une suspension d’activité ou d’une dissolution « en cas d’ingérence dans les affaires internes du pays ou d’atteinte à la souveraineté nationale » (art.39). Cette disposition, extrêmement vague,  prive les associations de tenir leur rôle d’analyse, de critique et d’accompagnement de l’Etat dans la conduite de sa politique publique, condition primordiale pour le fonctionnement de toute démocratie. Nos associations considèrent en effet que tout citoyen d’où qu’il soit a le droit et le devoir de s’intéresser aux affaires de son pays et rappellent que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)[4], à son article 22, dispose que le droit d’association ne peut faire l’objet que de restrictions justifiées comme « nécessaires dans une société démocratique dans l’intérêt de la sécurité nationale ou publique, la prévention du désordre et du crime ou la protection de la santé et la moralité publique ou la protection des droits et libertés d’autres personnes ».

L’article 43 de la loi prévoit qu’une association peut être dissoute si elle a « reçu des fonds provenant de légations et ONG étrangères » ou « exercé des activités autres que celles prévues par ses statuts ». L’imprécision de cette disposition fait encore craindre une interprétation abusive des autorités administratives, alors qu’il aurait été plus conforme aux législations libérales de la région de permettre la dissolution d’une association pour avoir poursuivi un « objectif » ou des « buts » contraire à ses statuts.

Pis, le même article prévoit que la demande en annulation de l’association peut être sollicitée par « des tiers en conflit d’intérêt avec l’association », laissant supposer que des associations soutenues, voire créées par l’Etat lui-même (organisations connues sous l’acronyme anglais de GONGO), pourront agir en justice pour empêcher les associations indépendantes de poursuivre leurs activités.

S’agissant de la procédure de suspension des activités d’une association, la nouvelle loi revient encore sur un acquis juridique important. Alors que l’intervention d’un juge était, depuis 1990, nécessaire, pour suspendre une association, la loi 12-06 revient sur cet acquis en établissant qu’une décision administrative  est désormais suffisante pour suspendre les activités d’une association qui ne seraient pas conformes aux dispositions de la loi, sans aucune précision sur les dispositions de la loi auxquelles il est fait référence (art.41).

Enfin, contrairement aux recommandations de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme[5] selon lesquelles, « en cas d’adoption d’une nouvelle loi, toutes les ONG enregistrées auparavant devraient être considérées comme poursuivant leur fonctionnement au regard de la loi et il faudrait leur prévoir des procédures accélérées pour mettre à jour leur enregistrement », nous constatons que l’article 70 dispose que « les associations régulièrement constituées sous l’empire de la loi 90-31 [soient] tenues de se conformer à la loi par le dépôt de nouveaux statuts conformes à la loi », mettant ainsi en danger toutes les associations créées sous la loi antérieure. Dépassé ce délai, les associations sont automatiquement dissoutes.

[1] L’article 46 de l’ordonnance n°06-01 du 27 février 2006 prévoit aussi qu’« est puni d’un emprisonnement de 3 à 5 ans et d’une amende de 250.000 dinars algériens à 500.000 dinars algériens, quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité des agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international ».

[2] Les Etats généraux de la société civile ont été organisés les 14,15 et 16 juin 2011 par le Conseil national économique et social (CNES)  afin, selon les mots du Président Bouteflika, de « libérer la parole de la société civile dans l’ordre d’un nouveau système de gouvernance ».

[3] L’article 18  dispose « Les associations doivent notifier à l’autorité compétente les modifications apportées aux statuts et les changements intervenus dans les instances exécutives ».

[4] Ratifié par l’Algérie le 12 septembre 1989.

[5] Rapport sur la liberté d’association 2009 de la RS – A/64/226. Recommandation paragraphe 108.