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Applications de traçage : un épisode réel de Black Mirror ?

La pandémie actuelle touche à tout l’éventail des droits humains. Dans le contexte du COVID-19, les États ont l’obligation de mettre en œuvre les droits à la santé et à la vie de leur population. Pour ce faire, beaucoup d’entre eux sont en train de donner une nouvelle impulsion aux applications de traçage des contacts : ces applications peuvent aider à « identifier, évaluer et gérer les personnes qui ont été exposées à une maladie » afin de « limiter la propagation du virus et d’interrompre la transmission en cours ». Leur utilisation soulève toutefois de sérieuses questions.

Dans le but d’endiguer le flux de nouveaux cas de COVID-19, des gouvernements s’empressent de suivre leur population à la trace. En France, Italie, Allemagne et Turquie, les États font fi du droit à la vie privée des citoyen.ne.s en se référant à « l’état d’urgence sanitaire » qu’ils ont fait adopter. En Israël, une loi d’urgence permet désormais d’utiliser des données mobiles pour suivre les patient.e.s atteints de COVID. Les données parcellaires provenant des téléphones portables permettent de cibler, en temps réel, les individus et peuvent être utilisées par les gouvernements pour leur appliquer des mesures de quarantaine draconiennes. Le gouvernement israélien a ainsi demandé qu’il lui soit possible d’utiliser les services de renseignement pour aider à la localisation ; une demande non encore approuvée. Cette atteinte excessive à la vie privée ouvre la porte à l’affaiblissement d’autres droits, tels que les libertés de mouvement, d’expression et d’association.

De telles applications pourraient non seulement introduire un niveau de surveillance sans précédent, mais aussi empêcher un retour à la normale du fait du détournement de leur objectif initial et de la lenteur de ce retour à la « vie d’avant ». Qui peut aujourd’hui garantir que de telles technologies ne seront pas déployées dans d’autres domaines de la vie bien après que la pandémie a été maîtrisée ?

Les gouvernements devraient étudier l’existence de moyens de lutte contre la pandémie qui soient moins attentatoires aux droits. Il pourrait s’agir de méthodes de contrôle éprouvées, telles que la recherche manuelle des contacts, l’élargissement de l’accès aux tests et à des traitements spécifiques, et la possibilité pour la société civile d’apporter sa contribution. Ces solutions non technologiques permettraient également de résoudre les problèmes qui se poseront à terme : la fracture numérique ou un accès à Internet désavantageront encore davantage les groupes déjà marginalisés.

On peut sérieusement se demander si l’utilisation des applications de traçage peut satisfaire aux normes internationales des droits humains en matière de nécessité et de proportionnalité. En l’absence de limites transparentes et significatives – fixées par les États – en matière de collecte, de conservation et d’utilisation des données, l’utilisation d’applications de traçage de contacts ouvre la voie à de possibles violations multiples des droits fondamentaux. Leur utilisation par des gouvernements s’adonnant déjà à des pratiques intrusives de surveillance de masse pourrait amplifier la discrimination et la répression.